Qualifiée de nouvelle électricité par le chercheur américain Andrew Ng, l'intelligence artificielle n’a cessé d’évoluer ces dernières années grâce notamment au développement des NTIC et à l’augmentation des puissances de calcul nécessaires à l’apprentissage des machines. Popularisée par les premiers travaux du mathématicien Alan Turing dans les années 50, l’intelligence artificielle fascine autant qu’elle inquiète. Si elle est souvent évoquée dans le contexte d’évolutions positives, l’IA suscite un certain nombre de craintes notamment quant à l'utilisation des données personnelles ou encore à la création d’une super-intelligence artificielle. Nos références culturelles contemporaines — de la célèbre trilogie robotique d'Asimov en passant par l'Odyssée de l'espace — ne sont sans doute pas étrangères à l'exacerbation de cette méfiance. Pourtant l'intelligence artificielle n’est que le symptôme de l’accélération du progrès technologique, elle rentre chaque jour un peu plus dans notre quotidien par l’intermédiaire des assistants virtuels, des voitures intelligentes, ou encore des objets connectés. Véritable prouesse technologique l'IA est désormais capable d'apprendre une nouvelle langue sans faire appel à un dictionnaire existant, de reconnaître des visages, de poser un diagnostic en parallèle de celui d'un praticien ou de conduire une voiture sans intervention humaine.
Longtemps restée l'affaire de spécialistes, l’IA est désormais un défi pour toutes les nations car elle représente plus que jamais un enjeu politique et diplomatique. En France Emmanuel Macron semble avoir compris que l’IA était sur le point de secouer toutes les fondations de nos sociétés contemporaines.
C'est dans le cadre de la journée de conférences au collège de France que le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé un investissement d'1,5 milliard d'euros pour le développement de l'intelligence artificielle en France d'ici 2022. La veille, le député Cédric Villani rendait un rapport de 235 pages sur l'intelligence artificielle commandé par le premier ministre Edouard Philippe. Ce rapport riche en préconisations et pistes à suivre met l'accent sur le développement de la recherche, les transports-mobilité, l'accessibilité aux données, l'éthique, l'écologie, la santé ou encore la défense. Si les propositions émanant de ce rapport n’ont pas été chiffrées, le montant de l’investissement global — 1,5 milliard d’euros — annoncé par Emmanuel Macron a de quoi décevoir. A titre de comparaison la société Alibaba annonçait il y a quelques mois l’investissement de 15 milliards de dollars (12,7 milliards d'euros) pour créer huit centres de recherche et développement dédiés à l'intelligence artificielle (IA), l'informatique quantique et la fintech… Au regard des enjeux les investissements annoncés paraissent modestes et devront s’inscrire dans stratégie européenne d'investissement pour faire face au duopole américano-chinois.
UNE EUROPE SANS VISION
L’Europe est dramatiquement en retard pour ne pas dire absente dans le domaine de l’intelligence artificielle. La bataille des données est menée par des entreprises américaines et chinoises et on peine à voir se dessiner une stratégie qui pourrait changer la donne. Depuis trente ans, avec la complicité tacite de la plupart des États, Bruxelles a systématiquement bloqué tout projet visant à créer des champions européens. L'absence d'une place boursière technologique européenne, le peu de fonds d'investissements spécialisés, l'étroitesse des marchés domestiques ou encore les lacunes de la chaîne de financements à destination des Startup sont autant d'éléments qui ont rendu impossible l'émergence d'un Amazon européen. Certaines initiatives ont bien été envisagées comme celle de créer un Netflix européen. Ce projet prévoyait une alliance stratégique entre Vivendi et Mediaset à travers leurs plateformes de SVOD Canalplay, Watchever et Infinity. Mais les déboires de Vivendi en Italie auront eu raison de ce projet. La création d'un Netflix français avait également été envisagée entre Orange, M6, TF1 et France télévision mais ce projet avait lui aussi été abonné en raison de désaccords sur le modèle économique. Pendant qu'en Europe nous rêvons le monde du numérique de demain ailleurs d'autres le font et bâtissent des géants comme Netflix dont le bénéfice net à triplé en 2017 et la capitalisation boursière dépassée la barre symbolique des 100 milliards de dollars...
LA FRANCE DES TALENTS ET DES OCCASIONS RATÉES
La France compterait quelques 180 start-up liées à l’IA, et les sommes investies dans les jeunes pousses françaises ont atteint 118 millions d’euros en 2016, selon les fonds d’investissement. Sur le territoire on recense près de 70 laboratoires de recherche publiques, douze écoles d’ingénieurs ayant des programmes dédiés au Machine Learning, et cinq universités se plaçant parmi les meilleurs en mathématiques dans le monde (1). Les principaux organismes de recherche publique en intelligence artificielle , le CNRS, l'INRIA le CEA et les différentes universités et grandes écoles produisent des travaux à visibilité internationale. La France dispose donc d'importants atouts à faire valoir, riches de la compétence de ses enseignants, de ses chercheurs et de ses étudiants, mais la communauté française de l'intelligence artificielle est encore insuffisamment organisée, connue visible et financée. L'excellence française est incontestable — le départ de Yann LeCun chez Facebook — en est une des illustrations les plus marquantes mais elle également le symbole de la fuite de nos talents et de l'incapacité que nous avons à garder nos meilleurs éléments. Il en va de même pour les start-up qui quand elles ne sont pas rachetées par des mastodontes étrangers à l'image d'Aldebaran, absorbé par le japonais SoftBank, ont pour seul horizon la Bourse de New York faute d'alternative de cotation à la hauteur de leurs ambitions.
Par manque d'audace, de réalisme et parfois d'accompagnement nous passons à côté de formidables opportunités l'exemple d'OVH témoigne à lui seul de la méconnaissance et de la déconnexion de nos politiques. Alors qu'OVH est la seule entreprise européenne du cloud capable de rivaliser à terme avec Amazon, Google, Microsoft ou encore Beijing Sinnet Technology, l'Etat a dépensé des millions d'euros non pas pour accélérer la croissance d'OVH mais pour lui créer deux concurrents: Cloudwatt et Numergy dans l'espoir de bâtir un "Cloud souverain".... Si l'idée n'était pas dénuée de sens il est assez invraisemblable d'avoir fait naitre deux projets concurrents alors que des solutions fiables existaient déjà. Ce projet aux choix stratégiques discutables se soldera par un échec retentissant. Alors que la course à l'intelligence artificielle se joue en partie sur les activités du nuage il y a de quoi s'interroger sur la vision de l'état stratège.
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