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Mieux comprendre le crédit social chinois

Pour mieux comprendre la Chine, il convient de faire une analyse contextuelle et surtout de mettre à jour notre grille grille de lecture occidentale qui trop souvent ne permet pas ou si peu de comprendre le modèle chinois. Il me paraissait donc important d’expliquer comment et pourquoi Pékin en est arrivée là sans tomber dans les habituels clichés et contre-vérités.

La Chine de Xi Jinping, devenue la deuxième puissance économique mondiale sous l’impulsion de Hu Jintao, a très vite été confrontée à deux options : la voie de la démocratie et celle du totalitarisme. Wang Huning, architecte et idéologue de la doctrine "du rêve chinois", a su convaincre Xi Jinping d'opter pour la deuxième voie persuadé que le modèle des démocraties libérales occidentales était définitivement obsolète. Pour les autorités chinoises, les régimes démocratiques en proie à de nombreux mouvements sociaux ne sont pas intrinsèquement armés pour penser le monde de demain. Crise des dettes souveraines, crise de confiance, crise institutionnelle, dégradation du pouvoir d’achat, hausse du chômage et de l’inflation ou encore accroissement des inégalités, pour Pékin seul un régime autocratique permet de gérer les colères grandissantes des peuples. Pour le Parti communiste chinois le développement économique doit passer par la stabilité, les progrès sociaux et politiques doivent venir dans un second temps.

Depuis quelques années les technologies de surveillance façonnent la société chinoise et préemptent le long terme. Perçu à tort ou à raison en occident comme un "totalitarisme numérique" et comparé à la dystopie "1984" de George Orwell, le crédit social a été initialement conçu pour répondre à une crise de confiance que traverse la société chinoise depuis son insertion dans le processus de mondialisation. Cette nouvelle forme de gouvernance du crédit social, qui a connu coup d'accélérateur avec la crise sanitaire coronavirus, est ainsi devenue un outil visant à renforcer le pouvoir administratif, à "moraliser" la société chinoise et à appliquer les lois et les décisions de justice. Car en Chine les devoirs doivent passer devant les droits.


« D’abord il faut la paix, la stabilité, après seulement on réfléchiras aux droits de l’homme[…] Je pense qu’on a mis en place une bonne méthode technologique et j’espère vraiment qu’on pourra l’exporter dans un pays capitaliste... je trouve que la France devrait vite adopter notre système de crédit social pour régler ses mouvements sociaux. Si vous aviez eu ce système vous n’auriez jamais eu les gilets jaunes car auriez détecté ce mouvement avant qu’ils agissent, vous auriez pu prévoir ces événements. C’est l’un des grands avantages du crédit social » explique Lin JunYue le théoricien du Crédit Social Chinois.


Le crédit social élaboré au début des années 2000 a largement été utilisé par le pouvoir central chinois au plus fort de la pandémie du Covid19 pour appliquer un plan drastique de confinement. Si la méthode chinoise a été - à raison - largement critiquée en Europe et plus généralement en occident, elle a permis à la Chine de sortir plus rapidement de la crise du Covid19 que les occidentaux, s’offrant ainsi l’opportunité de bouleverser les équilibres de l’ancien monde. La Chine compte environ 1000 millions de caméras de surveillance installées sur son territoire. Le programme « Filet du ciel » a accéléré la mise en place de surveillance généralisée dans les services publics, le programme « Yeux perçants » à quant à lui permis aux paysans de relier leurs téléviseurs aux caméras de surveillance. L’Etat central peut notamment compter sur les géants technologiques Hikvision et Dahua Technology, moins connus que les BATX ( Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) ils sont les bras armés technologiques du pouvoir central tout comme le sont les entreprises SenseTime et Megvii, spécialisées dans l'IA et financées par Alibaba.


En Chine, huit banques et entreprises ayant des activités financières ont obtenu du gouvernement chinois, via la banque centrale chinoise une licence leur permettant de développer leur propre système de notation de crédit. L’évaluation du crédit social s'étend désormais au-delà de la simple sphère financière. Des millions de citoyens chinois se retrouvent ainsi dans l’impossibilité de voyager en avion ou en train, de souscrire à un prêt personnel ou tout simplement de passer leur permis de conduire... Faute de « bonnes notes » ils sont ni plus ni moins désactivés de la vie sociale. Désormais la Chine vit sous l'œil inquisiteur des caméras et les écoles ne sont pas épargnées par ce phénomène, nombre de salles de classe sont équipées de caméras basées sur l'Intelligence artificielle et des capteurs cérébraux permettent aux professeurs de capter les émotions des élèves...


Même si ils s’en défendent de nombreux pays n’hésitent plus à louer les mérites du contre-modèle chinois et en viennent même du bout des lèvres à remettre en cause l’efficacité des méthodes utilisées par les démocraties. Des pays comme le Sri Lanka, le Cambodge, le Chili ou encore la Pologne se disent intéressés par le crédit social chinois. En France, certains élus dont le sénateur Jean-Raymond Hugon militent pour la mise en place d’un crédit sociale à la française. L’idée fait donc son chemin en France et dans certains pays européens. Si le modèle français ne ressemble en rien au modèle chinois le pass vaccinal qui pourrait entrer en vigueur dès lundi en France obéit à la même logique que celle qui a justifié le système de crédit social chinois. Pris en étau entre la tentation de crédit social chinois à les censures arbitraires des plateformes américaines qui interdisent tout débat contradictoire, nos démocraties paraissent bien fragiles. Nul ne sait si un jour, sous prétexte de mieux dompter l’anomie rampante, le pass vaccinal ne sera pas utilisé pour généraliser le contrôle social en France. Nul ne sait de quoi demain sera fait...


Source : Arte "Tous surveillés, 7 milliards de suspects" / "Bons et mauvais Chinois" Le monde Diplomatique / France 24





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